vendredi 20 décembre 2013

Les premières lueurs d'automne


Il y a les premières pluies de septembre, la moiteur de la terre et la faiblesse des jours. Et très vite le fleuve reprend son cours, et retrouve les reflets tièdes d'une bravoure que l'attente intercède. La fraîcheur des forêts rappelle à l'esprit des instants furtifs, empruntés à l'enfant de passage, qui s'en retourne trop vite à la nostalgie d'une femme qui lentement devient sage. Toutes ces fleurs qui se fanent et toutes ces ramures que le vent tanne, semblables à la peau qui s'assèche ; brûlée par les lèvres d'intrus que le cœur oublie en songeant à celles qui lui sont dignes. Les plaies se forment sous le froid de l’averse et la douleur de l’absence, qui vient creuser les pores comme pour rappeler l’ampleur de la distance. L’été s’en est allé, et avec lui les draps que l’on partage ; et là les premières lueurs d’automne pour faire croire au nouvel alliage et renforcer les remparts ; glaçant démaquillage. Mais le cœur est patient, et se réchauffe dans un feu de souvenirs où les flammes sont faites du désir de toucher l’autre et de l’entendre rire. Et dans l’attente de brûler sous l’étreinte que l’hiver contraste, les pensées se retrouvent en silence, belles et vastes, projetées sur les astres quand la lumière est éteinte.


Photo : Vespers Kat Moser

vendredi 2 août 2013

Musée imaginaire - Thème de la détestation


Série des compositions en rouge, bleu et jaune de Mondrian

Dire ce que ces œuvres m'évoquent relève du véritable paradoxe. Pour commencer, je ne puis me résoudre à considérer ces compositions comme des œuvres. Pourtant, je les appelle ainsi, de par leur renommée et leur statut hautement reconnu ; elles sont œuvres de situation, de circonstances, c'est là leur état premier, il est indéniable. Est ignare celui qui tendrait à prétendre le contraire. Cependant, il y a selon moi plusieurs degrés de considération à prendre en compte. Tout au moins deux, qu'il est de mise de relier aux principales natures de jugement que forment l'objectif et le subjectif. De façon objective, donc, je conçois que les compositions de Mondrian valent n'importe quelle autre œuvre, même - et surtout - d'un mouvement et d'une époque tout à fait opposés ; leur comparaison n'en serait de toute façon que plus ardue voire hors de propos, de par leurs nombreuses divergences esthétiques et intentionnelles. En clair, face aux tableaux, à ces toiles que je déteste pourtant, je sais, non pas en moi mais de façon tout à fait extérieure et détachée, qu'il s'agit là de produits de maître, dignes de reconnaissance et d'intérêt, sujets à de nombreux débats et autres discussions improvisées. Mais il m'est tout à fait impossible de dépasser ma reconnaissance seule et de m'aventurer à avouer le contraire de ce que je pense, pour en venir à construire mon avis sur un simple titre attribué, aussi officiel demeure-t-il. Au fond de mon être, dans un sentiment tout à fait personnel et difficilement démontrable, en clair de façon subjective, je refuse et d'une manière des plus sévères et catégoriques, de feindre pour les tableaux de Mondrian une admiration sans conteste et de leur accorder ainsi le titre d'œuvres artistiques au sens où moi, en tant que destinataire, je les reçois et en fait l'expérience de manière sensible.
Sensiblement parlant, et d'un point de vue totalement personnel, ce qui mérite selon le moi le titre d'œuvre d'art doit être enclin à véhiculer un sentiment d'une puissance telle que le doute n'ait pas sa place quant à la réception de l'œuvre concernée. Sous quelque forme qu'elle soit, l'œuvre doit à mon sens mettre une partie de nous en éveil, susciter un sentiment, une sensation, ou une image particulière à notre esprit qui s'ouvre alors de plus belle afin de recevoir le maximum de ce que l'œuvre peut avoir à diffuser. Une œuvre peut tout aussi bien plaire par sa beauté que par son mauvais goût ; l'essentiel étant qu'une réaction digne d'être rapportée devienne le but premier de cette même œuvre qui ne peut demeurer sans raison première. Ainsi certains types d'œuvres tendront à émouvoir, à susciter l'envie comme l'admiration, tandis que d'autres provoqueront délibérément la peur, l'indignation ou encore le dégoût. C'est là que se poursuit le paradoxe précédemment énoncé quant à la série de Mondrian ; détester détient une connotation d'une force telle qu'il ne peut, dans mon cas précis, s'appliquer à cette série de compositions. Encore une fois, je dis « détester » ces œuvres de Mondrian, car le mot aujourd'hui est tel que l'on se dit détester un grand nombre de choses. A titre d'exemple, j'ai toujours détesté les insectes volants ; mais cette aversion tient de la phobie et ce dès le plus jeune âge, sans doute dû à un certain traumatisme dont je n'entrevois qu'à peine le souvenir lointain. Pour citer autre chose, je dis détester le choux-fleur, car il ne me laisse rien d'autre qu'un goût amer sur ma langue qui ne court qu'après le plaisir gustatif, préférant des saveurs plus riches en sucre ou même en sel, du moment que le résultat final ait un minimum de personnalité en bouche. C'est là qu'est mon problème avec Mondrian. Je ne ressens rien. Et lorsqu'on ne ressent rien, on ne peut à mon sens, réellement parler d'aversion pour quelque chose.
Les tableaux de cet artiste toutefois si reconnu ne produisent sur moi aucun effet notable. C'est dire pourtant si nombre d'œuvres d'art ont suscité chez moi des réactions tout à fait différentes et ce parfois de façon simultanée. Mais face à ces toiles, ces œuvres particulières, mon esprit et mes goûts pourtant fort pluriels ne peuvent admettre pareille représentation au sein de mes préférences artistiques. Je suis de manière générale fort attirée par la multiplicité des détails, la beauté des courbes, le travail des couleurs et la personnalité des contrastes ; Mondrian ne me propose qu'un vulgaire quadrillage qui à mon sens, n'importe quel enfant muni de feutres et d'une règle aurait pu créer avant lui ou pourrait tout au moins reproduire à souhait, d'une manière tout à fait aisée. Certes, mes attirances non feintes pour l'art baroque et les compositions compliquées n'aident en rien cet art minimaliste à s'attribuer mes faveurs. Le fait est que j'ai besoin, pour admettre la toute puissance d'une œuvre, de reconnaître dans sa réalisation même une once de talent inimitable, un génie tout à fait unique et compliqué à reproduire même dans la plus grande des patiences. J'ai besoin, pour aimer une œuvre, d'envier les qualités de l'artiste et de me sentir six pieds sous terre face à une merveille aussi incontestable. En clair, j'ai besoin pour recevoir une œuvre comme il se doit, de ressentir quelque chose de concret et pouvoir ainsi en raconter l'histoire, à travers ce que je ressens dans l'instant de la découverte et de ce que celle-ci vient évoquer et réveiller chez moi.
A tout bien y réfléchir, j'ai sans doute une anecdote éventuelle à confier. Je me souviens avoir vu en bas âge une œuvre semblable à celle de Mondrian. Peut-être était-ce de lui ou d'un autre artiste minimaliste ; aussi loin que remonte mes souvenirs il s'agissait de formes plutôt carrées, et de couleurs primaires, en l'occurrence le rouge et le bleu, sur un fond blanc tout à fait banal. Je ne saurais préciser ou non la présence de lignes formant un quadrillage, l'image qui s'offre à moi demeurant assez floue et donc très imprécise. Le contexte de cette découverte est quant à lui tout aussi incertain ; je crois que c'était dans une salle d'attente. Jusqu'à aujourd'hui, il me semble que tout lieu médical soit disposé à exposer les œuvres de plus mauvais goût qu'il soit ; du pot de fleurs d'un vieux mauve terne et défraîchi aux carrés de couleur sans contours ni réel sens manifeste. J'ai ce souvenir qui tient plus de la sensation, qui semble plus avoir marqué le corps et mon sens visuel que l'esprit en lui-même. Je ne dis pas qu'avant cinq ans l'esprit n'est pas actif, c'est même là tout le contraire ; d'où l'importance significative des détails qui me reviennent en mémoire. C'était une salle d'attente, à présent j'en suis certaine. Je ne sais plus si c'était moi qui était souffrante, ou bien ma mère, sur le siège à ma droite. Dans tous les cas, nous étions chez le médecin familial, celui-là même que je vois encore aujourd'hui. Et comme si le lieu concerné ne manquait déjà pas assez de charme, il eût fallu que les jeux pour enfants m'aient lassée plus vite que prévu et qu'il n'y avait pour ainsi dire plus rien d'autre à faire que d'attendre. Attendre. L'idée de subir – ou de voir ma mère subir un examen médical n'avait en soi rien de fort plaisant, aussi le fait de vouloir vite en finir pour m'en retourner vers mes jouets à moi, dans ma chambre, cent fois plus accueillante que ce lieu froid et plein d'inconnus a certainement dû jouer dans l'attente durement éprouvée. Mes yeux curieux regardaient autour de moi : les murs blancs, outre une étagère à droite de la porte, n'avaient pour ornements que deux tableaux des plus fades, ceux-là même évoqués plus haut ; le pot de fleurs mauves et les carrés de couleurs. Si jusqu'alors la nature morte me paraissait tout à fait justifiée – moi-même il m'arrivait de dessiner des fleurs, comme n'importe quelle petite fille -, l'autre représentation pour le moins spéculative m'a, dans les premières secondes, laissée de marbre. Puis je me souviens avoir demandé à ma mère, puis plus tard à mon père, pour quelles raisons peut-être évidentes mais néanmoins obscures à ma réflexion l'auteur avait décidé de peindre quelque chose d'aussi simple à réaliser ; ils m'ont répondu que c'était de l'art, et qu'en terme d'art, bien qu'ils étaient de mon avis, tout le monde ne pouvait pas penser de la même façon et ainsi voir les choses à ma manière. Pour la première fois de ma vie, sans doute, j'ai eu le sentiment que mes parents ne savaient pas tout, et que ceux-ci demeuraient incapables de m'expliquer quelque chose qui de toute évidence leur échappait autant qu'à moi.
De par mon jeune âge et l'ignorance intellectuelle qui en découlait, je ne connaissais pas le sens du mot abstrait. J'ai dû l'apprendre peu de temps après cette découverte pour le moins sans saveur. Depuis, évoquer simplement l'abstrait me ramène à ce même sentiment d'ennui et d'attente totalement vaine et jamais récompensée. Je vois en l'œuvre de Mondrian le produit d'un esprit fermé, envieux peut-être, des œuvres de plus grande qualité qu'il ne parvenait peut-être pas à produire – évidemment, ce n'est en aucun cas une justification acceptable voire même envisageable d'un point de vue objectif. Il y a dans mon jugement quelque chose de plus fort que la raison et la réflexion, de plus imposant que la tolérance et la remise en question que les différences de goûts m'imposent pourtant ; il n'y a rien à faire, je ne peux me surprendre à admirer quelque chose d'aussi simple et minimal, aussi artistique son concept peut-il demeurer. Pour me plaire l'art doit me surprendre et m'éblouir, me ramener à un semblant de désir refoulé, à quelque chose de profond, d'enfoui, d'interdit. Or, la seule chose que l'œuvre de Mondrian vient évoquer au fond de moi ne se rapporte qu'à un ennui mortel voire presque une indifférence non réprimée. J'ai besoin de l'art pour me sentir vivre au quotidien. J'ai besoin qu'une œuvre me donne à ressentir quelque chose qui serait plus dur d'accès dans la réalité du quotidien. Une œuvre d'art doit impérativement me vendre du rêve, une beauté idéale et inaccessible de l'ordre du sublime. Elle doit me promettre un ailleurs qui m'éblouit comme un ailleurs qui m'effraie ; un ailleurs plein et entier qui ne laisse pas de place au doute. C'est pour ça que l'œuvre de Mondrian n'a jusqu'alors aucun effet notable sur moi. Pour me plaire, le rendu final d'une œuvre doit avoir l'air unique car très réfléchi, pensé à plusieurs reprises, et travaillé à partir d'un brouillon déjà fort élaboré.
Aussi j'ai du mal à imaginer le brouillon de Composition en rouge, bleu, et jaune. Rien que d'en évoquer l'idée me semble être une démarche des plus risibles. En effet, comment supposer une version simplifiée d'un résultat final à l'air aussi bâclé ? On pourrait certes supposer que les couleurs ne soient venues qu'ensuite, ultérieures à la construction des lignes et donc des zones de remplissages formées par leurs intersections consécutives. Seulement, et qu'on me pardonne mon insolence, remplir une case de magenta ne relève en rien d'un exploit artistique. Le coloriage ou remplissage, à mon sens, tout comme le tracé élémentaire, figure parmi les bases les plus rudimentaires acquises par tous dès l'enfance. Il m'arrive de m'attirer les foudres de certaines personnes en ayant tenu ces propos, sans nul doute au mauvais endroit et au mauvais moment. Les amoureux de Mondrian et de ses fameuses compositions qui n'ont pour moi aucun intérêt sensible tendront à prouver le contraire et ainsi la suprématie de son œuvre sur d'autres représentations plus complexes que j'aurais justement tendance, au contraire, à vouloir défendre dans le même but. Mais bien que mon esprit soit plutôt ouvert et enclin à reconnaître objectivement un statut officiel – car au fond, qui suis-je pour le réfuter -, il m'est totalement incapable d'affirmer avec conviction la beauté de simples lignes tracés sur un fond blanc relevé des trois couleurs primaires qui plus est de façon partielle. La facilité tout à fait évidente de la représentation vient provoquer chez moi un certain dédain dont mon indifférence vient ensuite balayer l'essentiel ; on pourrait assurément me surprendre à regarder le tableau de haut, un sourcil levé et les bras croisés, avant de me voir tourner les talons, dans une moue éternellement non convaincue par tant de reconnaissance générale pour si peu de travail et d'originalité. Car une œuvre se doit d'être originale suivant son titre de « création », et elle doit selon moi donner l'idée que personne d'autre avant l'artiste concerné ait pu songer à une création du même type. Et bien que de façon générale, on puisse sans nul doute trouver chez le travail d'artistes antérieurs à Mondrian des similitudes avec ses compositions cubistes, l'idée seule de tracer des lignes droites et d'en remplir les cases me paraît être à la portée de tous et ainsi indigne d'une telle reconnaissance artistique. En clair, sa composition m'agace dans la mesure où face à la toile, je vois un homme d'âge avancé et loin d'être ignare ou sans capacités, prétendre à une certaine renommée avec un travail des plus faciles à réaliser, dont l'idée théorique m'apparaît aussi absurde et alambiquée que la forme finale me semble tout aussi vide et négligée.
C'est là une affaire d'un autre ordre mais qui demeure incompréhensible à mes yeux. Car si la forme de l'œuvre et le choix esthétique qui la caractérisent ne provoquent chez moi aucun effet, je suis en premier lieu dans la possibilité d'admettre que la théorie qui donne sens à cette géométrie cubiste tend à être plus digne d'intérêt que ce qu'il m'est donné de voir en premier lieu. Car c'est un fait, le néoplasticisme est plus un art de la théorie qu'un réel mouvement du voir. D'un point de vue cette fois tout à fait neutre, il est de mise de reconnaître qu'une série de lignes et de carrés ne donne pas autant à voir qu'une toile baroque ou réaliste où chaque détail même minime apporte souvent quelque chose d'essentiel à la visée générale du tableau. Le néoplasticisme lui, donne plus à réfléchir sur le contexte précédant le contenu, sur les raisons de sa présence et non sur ce qu'il donne réellement à voir et à raconter. Terme utilisé par Mondrian et Doesburg pour qualifier leur art, il est essentiellement doté d'une connotation philosophique, laquelle se rapporte à une théorie bien précise de l'art en tant que tel. Cherchant à bannir toute allusion au monde matériel et réduisant le langage visuel au stricte minimum, le néoplasticisme se veut donc un art universel, où la couleur et la forme s'associent pour créer un équilibre totalement étranger et distinct du monde extérieur dans lequel il évolue. C'est ainsi que Mondrian insiste qu'il faut « tenter de voir composition, couleur et ligne et non la représentation comme représentation. » Seulement c'est tout mon plaisir qui s'en trouve bafoué et l'art hors de sa représentation n'a pour moi plus de raison d'être mis en avant. J'admets certes que l'idée ne manque pas d'intérêt ni de réflexion, mais le plaisir esthétique et sensoriel y perd toute consistance et ainsi je ne puis me résoudre à considérer la composition de Mondrian comme une œuvre dans sa globalité. Justifier la pauvreté visuelle par une vision idéaliste d'une forme d'art qui serait l'exemple même de stabilité m'apparaît plutôt facile pour ne pas dire grossière ou encore mensongère ; je n'adhère pas à la volonté de Mondrian de se servir d'un art immatériel et sans saveur pour donner au sein de la société la sensation d'une reconstruction et d'un équilibre sans faille - après l'instabilité causée par les perturbations de la Première guerre mondiale. Je peux saisir l'idée d'offrir à la population un art non mensonger et qui tendrait à véhiculer un ordre certain, mais il me paraît bien froid et fort primaire de n'avoir à proposer qu'une série de formes basiques en ayant pourtant comme point de départ une volonté aussi louable. M'est avis qu'après un malheur aussi conséquent que celui de la guerre, lequel engendre nécessairement celui de la mort, de la violence et de la peine, l'art devrait plutôt permettre aux gens de rêver et de continuer à croire en une beauté plus poétique et sentimentale face à la puissance des atrocités qui ont tendu non sans force à la rendre fallacieuse et obsolète.
En vérité, il est clair que je n'appartiens pas au type de public visé par l'art de Mondrian. Pour commencer, je ne suis pas née en temps de guerre et ai la chance de n'en avoir pas encore vécue, du moins pas de manière proximale. Bien que certains soucis politiques et sociaux demeurent de taille et ne seront sans doute jamais vraiment réglés, il me semble que je suis en mesure d'affirmer vivre dans un environnement plutôt équilibré et tout à fait supportable, tout au moins en comparaison avec d'autres états touchés par des malheurs plus pressants et d'un degré de gravité plus grand que ceux dont je dois faire face au quotidien. De cette manière, il m'est peut-être plus facile de m'adonner à la rêverie et autres luxes de l'esprit tant qu'il n'est pas agressé directement par une urgence de taille. Mais pour autant, il ne suffit pas à notre époque de se sentir perdu et en quête d'équilibre pour apprécier l'art de Mondrian et lui trouver quelque charme que je ne saisirai jamais. En effet, il semblerait que le néoplasticisme, dans la complexité de ses formes basiques, serait à l'image des théories que ses œuvres véhiculent, plus apte à être reçu par un destinataire moins ancré dans l'ostentatoire que dans la réflexion elle-même sous-entendue par ce qui n'est pas ou en l'occurrence peu montré. Il suffit sans doute à des individus dont l'esprit tendrait plus à être terre à terre et dans le présent du réel que de se livrer à des envolées chimériques et sans consistance concrète et réalisable. A moins d'être de ceux dont l'esprit est si ouvert et dont les goûts sont si variés qu'ils ne trouvent rien à dénigrer, il me semble que les passionnés de l'imaginaire et de la fantaisie tels que moi ne peuvent entendre l'œuvre de Mondrian à sa juste valeur, si tant est qu'elle puisse réellement exister en dehors de sa visée théorique.

Le paradoxe se poursuit et s'achève donc dans la mesure où j'ai bien de la peine à saisir comment un concept malgré tout si réfléchi et honorable puisse donner naissance à un rendu avec si peu de saveur et de personnalité. Le paradoxe, éternel complication au sein du jugement, veut que je dénigre un art qui donne à penser alors que c'est précisément dans ma nature de vouer mes instants perdus à de vagues et longues réflexions existentielles pour la plupart, et parfois fort futiles pour d'autres. Je refuse d'accueillir dans mon musée personnel une œuvre qui donne si peu à voir en cachant sa signification derrière un esthétisme se voulant universel mais à mon sens dénué de grâce et de beauté, alors que l'artiste a tenté à travers ses compositions de faire adopter au public son point de vue quant à une seule et même beauté, qui serait unique et qui renverrait à sa réalité propre et complètement distincte du reste. Au fond, je discrédite une peinture qui me semble trop difficile d'accès par rapport à la facilité de sa réalisation. La contradiction que crée cet écart s'impose à moi comme un contre-sens de la peinture comme j'aime à la contempler et la découvrir. J'aime ce qui est donné à voir et non à penser. J'aime la beauté du mouvement et la complexité du trait, l'harmonie des couleurs et la pluralité de leurs teintes, la lumière qu'elles recréent dans une symbiose parfaite qui donnerait plus à croire à un rayon de Soleil qu'à un coup de pinceau pur et simple. Le paradoxe est à son apogée quand en littérature mes attirances se tournent vers des envolées lyriques et alambiquées, vers un assemblage de mots au vocabulaire riche et très vaste, et aux significations masquées derrière un style des plus travaillés. Seulement dans ce qui se donne à voir directement, à travers l'image et la représentation graphique, j'abhorre le secret que l'on crée pour tel. J'aime cependant que l'on me donne à trouver un autre sens caché, à travers l'usage de symboles et de détails, au sein d'une situation qui aurait laissé au premier abord entendre quelque chose de tout à fait opposé. Mondrian ne m'offre rien de tout cela. Je déteste ce qui est sans chaleur, sans richesse et ne permettant pas l'accès vers un monde plus beau ou même plus affreux ; j'ai peur du non-sentiment, du non-dit et de l'aveu réprimé, et en cela j'ai besoin du détail pour apprécier ce dont je peine à m'habituer dans des limites de la réalité. L'art visuel est pour moi une libération véritable pour ne pas exploser et laisser libre court à des pulsions merveilleuses, malsaines et inavouées qui ne peuvent d'un point de vue éthique que se satisfaire dans l'art. En cela Mondrian constitue un frein à mon bien-être, et ses compositions ne participent en rien à mon besoin d'évasion et n'ont donc pour moi aucune autre utilité que d'être dénigrées au profit d'œuvres à part entières ; celles-là même que j'aime, celles que j'adore ; que je vénère.

mercredi 14 novembre 2012

L'ébauche mortuaire


Parfois j'ai tant le cœur qui saigne, et tant la peau qui tremble, que mes yeux déversent ce qu'il reste de l'âme. Et cette fois c'est la bonne. J'ai envie de pleurer, de crier une dernière fois, mais maintenant le monde s'en va ; fuyant la mascarade, toute arrachée à la haine de l'univers, je vogue vers l'ailleurs qui me tend les bras. Je ne peux plus rien toucher, je sens juste les larmes sur mes lèvres, ces regrets qui pèsent sur l'épiderme ; baiser inattendu de mon intérieur qui vacille. C'est donc le repos qui s'offre ensuite ? Une éternelle musique qui vous berce de l'autre côté, qui vous accompagne pour rendre les choses plus simples. C'est l'heure, il faut dire au revoir. Un dernier regard, un battement de cil en guise d'adieu, la famille qui ressent mais qui ne peut pas voir. C'est quand l'attente se fait longue que l'on regrette le plus. On s'entend rire enfant, courir les espaces et fouler les pelouses, avec le grand-père que l'on va rejoindre ; doux réconfort. Des lumières de Noël, des embrassades, les premières amours, tout revient amplifié, comme ce mal de tête qui a du mal à vous quitter. L'on ne reconnaît plus sa peau, elle arrête de vieillir. Et c'est dans les bas fonds qu'elle pourrira.
On effleure les murs, une dernière fois.
Le soupir se fait entendre, puis un léger sourire à la vue d'une photo. L'on se dit que l'on était belle, finalement. Et si jeune. Promise aux rares merveilles de la Terre, qui se faisaient attendre.