dimanche 2 octobre 2011

Le monstre de ma chambre.

Il y a quelques jours, un étrange phénomène de plus en plus récurrent s'est reproduit peu avant mon réveil.
Je vois ma chambre, je vois mon lit. Je vois mal, je vois trouble, mais je les vois. Je me réveille, en somme. Mais quand il faut se lever, c'est la panique : impossible de bouger. De temps à autres, je parviens à relever le buste, non sans difficultés. Un regard vers le réveil et les minutes se secouent. On dirait que mes yeux se la jouent trente-trois tours. La pièce a cette lueur sombre et bleutée dont se servent les cinéastes pour leur séquence rêve et autre dimension. Glauque.
Ça pourrait s'arrêter là mais ça empire après. Parfois – souvent – il y a quelque chose au bout de mon lit, quelque chose qui se cache, qui est planté et qui m'observe. Il est à contre-jour et les volets sont encore fermés, il n'y a que ses contours qui sont visibles. Sa silhouette n'est apparue qu'une fois, et c'est sa tête, aux formes obscures et aux oreilles pointues qui me faisait face. J'ai même pris ça pour des cornes, dans l'intuition paniquée de l'instant – c'est le Diable oh mon Dieu c'est Lui. Mais ça, c'était juste une fois. Les autres fois, c'était pire. C'était sombre et bleuté, ça je l'ai déjà dit. Et ce quelque chose était là, dans un manteau discret de présence mais aux vibrations relâchées. Je le sens, il est ici, il est là, le quelque chose.
Sa première visite, je l'ai d'abord associée à celle de mon chat. Mon chat, mon amour, cette adoration qui pousse ma porte pour un petit squat. Derrière ma tête la porte s'ouvre dans son bruit habituel, un petit grincement puis un silence flou. Je sens Ciboulette – le chat, l'adoration – faire le tour du lit ; allongée les yeux mi-clos, je (re)sens qu'elle considère la couette, juste un moment, puis se décide à sauter. Brom. Seigneur qu'elle est lourde. Puis sa marche, délicate, jusqu'à mon corps endormi. Une patte, puis l'autre. Tip. Tap. Tap. Tip. Elle est proche. Elle monte sur mon ventre, s'avance vers ma poitrine. SEIGNEUR QU'ELLE EST LOURDE. Mon chat est gros, je l'assume sans mal, mais là je respire avec peine. Un soupir douloureux s'échappe, je voudrais bien la pousser mais mes bras sont immobiles. Non, c'est trop lourd, pourquoi est-ce si lourd. Et soudain c'est monté à ma gorge. Ce n'est pas mon chat. C'est une main, qui m'étouffe, qui m'étrangle. Je me débats un instant, mes membres se mouvent, progressivement. J'allume la lumière – enfin j'y arrive. Ça s'écarte. On dirait que ça s'envole, que ça s'échappe doucement, comme une lueur lointaine ou un moustique qu'on dérange. J'ai des sueurs froides, le cœur et le souffle en bataille ; mes yeux balaient la pièce : la porte est fermée, Ciboulette n'est pas là. Bordel, c'était quoi ça.
La deuxième fois, ça démarre avec le même schéma. Impression de migraine et de demi-conscience, je ne peux rien saisir et ne vois pas grand chose. Mais cette fois, pas de bruit, pas de porte ; cette fois, c'est ma cheville qu'on agrippe, celle qui prenait froid, celle qui dépasse du drap. C'est la main, c'est la même. Je sens ses doigts autour du membre, qui serrent et qui me tirent vers elle. Je me dégage, et en sursaut j'allume la lumière. Bon sang, c'est pas vrai.
La troisième fois, c'est venu depuis la fenêtre, du pied du lit, une fois encore. Ça a dû me survoler, me considérer, peut-être m'envisager. Je me suis mise sur le ventre, face à l'oreiller – je l'étais sans doute déjà. Et ça m'a prise par derrière, un bras autour de ma gorge, un bras qui s'enroule, un bras qui serre, qui serre ! Je n'arrive pas à respirer et me remémore la première fois : je m'en suis sortie. Si cette chose veut jouer avec moi, me dire quelque chose ou se foutre de moi, elle ne va jamais jusqu'au bout. Alors, il faut peut-être lâcher prise, et attendre qu'elle parte. Lasse. Et elle est partie – cette connasse. J'ai allumé la lumière et respiré un grand coup. Je suis libre. Non sans un relent de panique encore fraîche, de peur encore vive. Bordel, qu'est-ce qui m'arrive.
J'ai d'abord cru à un fantôme. Un passager clandestin, un autre qui vient d'ailleurs, un revenant du plus loin. Pas un visiteur fortuit, pas une âme égarée qui passait par là. Je voyais la chose en grand : le poltergheist, le monstre, le démon suprême. Un esprit frappeur qui se joue de mes peurs, une force qui cherche à m'avoir, à posséder mon corps, s'emparer de mon esprit, me retirer mon libre-arbitre. On notera l'influence de L'Exorciste et autres productions sur le thème.
J'ai ensuite pensé à une trace. Une empreinte qui se fait entendre, qui a besoin d'être écoutée, puis effacée. Soulagée. Un acte de violence, une mort prématurée, un cri de douleur attaché aux murs de ma chambre. Quelque chose d'ancien relié au lieu de mes nuits. Quelque chose qui a besoin de moi, qui veut me parler. On notera l'influence de Sixième Sens et des autres films du genre.
J'ai ensuite songé à des terreurs nocturnes, similaires à celle de l'enfance, où l'on se retrouve au milieu du lit, qu'on tend les mains vers un mur qui n'est plus là, et qu'on se cogne sur un nouveau quand on songeait tomber sur l'oreiller. C'était plus plausible, bien plus rationnel. Mais aussi beaucoup trop différent et pas assez convaincant.
Et j'ai commencé à paniquer, en voyant l'évènement se répéter. A me convaincre des hypothèses émises, à me dire que c'était possible. J'ai fait peur à ma famille, j'ai fait peur à mes amis. J'en ai sûrement déjà trop dit, mais qu'importe, je sais ce que j'ai vécu. Qu'on me croit ou non, il fallait que j'en parle, que j'explique, que je prouve.
Puis j'ai fait des recherches, et suis tombée sur cet article.
Je n'avais encore jamais entendu parler de paralysie du sommeil. Il a fallu que je tombe sur une critique d'Insidious pour en apprendre un peu plus. Il semble que mon intérêt pour ce film à mon sens mal apprécié ne soit pas si anodin. Un commentaire d'une amatrice et me voilà redirigée. Wikipédia, que ferais-je sans toi.
Je prends le temps, il est tard et je n'ai pas sommeil. J'ai juste un peu peur du noir de la pièce et des cris dans la télé. Mais les indices qu'on me donne ne sont pas négligeables, et je lis ce qui est écrit comme on dévore un livre d'épouvante. J'adore et je frissonne en même temps. Au fond de moi une petite chose s'apaise et un voile se relève ; la vérité se révèle enfin et mon Dieu ça fait du bien. Tout coïncide et se relie à ce que j'ai vu, senti, et vécu. Je ne suis ni folle ni possédée. Et jusqu'à preuve du contraire, ma chambre n'est ni maudite ni damnée.
Je souffre « juste » de paralysie du sommeil. Je ne suis pas la seule dans ce cas, et peux même en tirer profit. Il est dit que l'angoisse peut se muer en extase et que les hallus peuvent être choisies. Ok, si je pense Oliver Phelps, on le fout dans mon pieu ? Je préfère ça à une chose informe qui cherche à me buter. Et il vaudrait mieux que ça marche ; car il est dit qu'on n'en guérit pas. Aucun traitement. Jamais.
Alors, comment dire. Savourez votre sommeil de plomb, endormez-vous heureux. De mon côté, je vais tâcher de faire apparaître des poneys, et d'autres trucs joyeux.
Titre en référence à la chanson de Féebrile. Crédits photos : Féebrile.
Peintures : Le Cauchemar de Henry Fuseli et Le Cauchemar de Nicolai Abildgaard.

dimanche 18 septembre 2011

Les adultes, ces grands enfants

Pendant que la génération 90's côtoie la vingtaine et n'a de cesse de parler permis, appart et finances, les procréateurs des grands hommes de demain font la gueule à la cinquantaine qui se pointe. Non contents des rides apparentes et du poil blanc sur le crâne comme ailleurs – il est vu que l'on vieillit de partout – l'adulte lambda semble mal assumer cette montée vers un âge plus sage et ses attitudes s'en ressentent. Quelqu'un m'a dit il n'y a pas longtemps que vers vingt ans en moyenne, l'on acquiert une certaine maturité que nos géniteurs semblent perdre au fur et à mesure qu'approche leur demi-siècle d'existence ; c'est du moins ce que j'ai conclu du fatidique mais on ne peut plus évident « l'on devient parent de ses parents. »
Si pendant l'enfance ils étaient nos seuls modèles sur Terre (si l'on exclue Action Man et Britney Spears), c'est d'abord l'ado rebelle puis le jeune adulte pensant que l'on devient qui se met vite à agir et réfléchir dans un sens contraire au leur – ce n'est pas tant le choc des générations qui s'opère, mais surtout une jalousie malsaine que le bientôt vieux n'avoue pas et que le presque adulte ignore non sans un soupir égaré.
La crise du début de vieillesse est facilement reconnaissable. Elle varie selon les cas, mais se reconnaît souvent à plusieurs détails notoires dans l'attitude des concernés. Souvent divorcé, célibataire ou récemment en couple, l'adulte a quarante-six ans et se découvre une âme de fêtard invétéré. Il écume les bars, les concerts de hard ou les clubs parisiens. Se fait draguer, cherche à plaire, paie sa tournée. Chaque weekend, et même en semaine, c'est apéro, puis resto, et plus encore si l'on est chaud. Un décalage certain mais néanmoins légitime ; se la jouer mamie à cinquante piges, ça la fout mal. Donc on adhère, mais en observant de loin – évitons la cuite familiale au possible.
En sus des sorties répétées s'additionnent un inconditionnel goût du drame et des portes claquées. Dans la mesure où le domicile parental est encore nôtre faute de moyens suffisants, une vaisselle oubliée ou deux miettes sur la moquette deviennent de véritables sujets de tragédies modernes. Et pour cause, l'adulte a découvert Facebook et se détourne des tâches ménagères. Les notifs battent l'aspirateur en terme de popularité, et le géniteur s'extasie d'un Lol ;-))) sur une caricature de Sarkozy. Conséquence ? On se sent beau gosse de faire les carreaux une fois par semaine, quand l'adulte chiale sa fatigue et demande reconnaissance au moindre meuble épousseté.
Et outre la pièce de vie en bordel, le plus petit coup de pompe se mute en dépression à tendance suicidaire. Si les plus sages ne sont qu'un peu plus émotifs, les plus délurés auront tendance à tout dramatiser. Un coup de téléphone manqué comme de la paperasse à gérer, rien dans la tête de l'adulte stressé ne ressort d'une oreille avec une once de raison ; l'insignifiant devient grave quand le plus urgent est mis de côté. Résultat des courses : factures impayées, collection de messages vocaux et trente-six mégots dans le cendrier. Et bien, c'est du propre, que dirait Mamie.
Grossièrement, nos parents ont quinze ans.
La question à se poser, toute facile, toute simple, évidente... Pourquoi ?
Il n'y a qu'à observer nos propres habitudes. Selon les humeurs et les envies, les coutumes de la vingtaine varient mais se rapprochent les unes des autres. On étudie, on bosse, on sort, on boit, on baise. Rien de bien surprenant jusqu'ici, au détail près que l'on peut tout faire en assurant le lendemain au bureau, à la fac ; au boulot. Rien n'arrête le jeune adulte qui jouit de son indépendance néanmoins partielle, il dévale les escaliers de métro, enchaîne deux amphis sur la reproduction intracellulaire de micro-organismes puis file boire un verre avec copain 1 et copain 2 dans cet irish bar tellement hype dans lequel il démarre son service le quart d'heure suivant. Et quand il rentre, il a encore le temps d'écrire un article pour son blog, deux trois conneries sur Twitter et de liker des photos sur Facebook. Le jeune est surpuissant, le jeune est invincible. Et pour cause, il dort six heures par nuit, et tient toujours le coup quand son père en a besoin de dix.
La conclusion est alors évidente : le parent est, et de façon légitime, tout simplement jaloux.
Jaloux d'une beauté encore fraîche, d'un optimisme déconcertant et d'une ingéniosité sans faille ; alors qu'ils commencent à applaudir nos actions, ils réalisent avec horreur que eux ne sont plus dans le coup. Se développe alors chez eux un complexe d'autorité assez pénible et des plus agaçants, où la réflexion sur l'écharpe oubliée en hiver ou les cheveux trop longs en été ne cessent de frapper. A côté, les moins grognons tenteront de sympathiser avec le jeune et d'entrer dans son cercle si « branché » ; défilent alors gros beaufs et vieux cougars en mal de fraîcheur. Pas des plus glorieux, selon les cas.
Sur ces visions un brin pathétiques de l'homme qui ne veut pas vieillir, le jeune continue sur sa lancée, tout beau tout fringuant qu'il est, résistant à la fatigue et aux premiers coups durs avec pour seule plainte un soupir effacé par un sourire. Le secret, c'est qu'il y a des choses auxquelles il n'ose pas songer. Une question qui l'effleure un instant, mais qu'il ne se pose pas. Il y répond parfois, de lui-même, dans un idéal un peu cliché mais sans vraiment y croire. Au vu des exemples sous ses yeux, il craint souvent de se tromper, et de devoir l'encaisser. Ce passage de l'existence où il s'est proscris d'échouer, pour éviter le ridicule et rester digne dans le temps. « On sera comment, nous, dans vingt ans ? »


samedi 3 septembre 2011

Sarah M.

Aujourd'hui je vais vous parler de Sarah M.

Sarah M. c'est une jeune femme qui s'accepte un peu, et qui pense beaucoup. Elle s'accommode mal aux règles vestimentaires imposées. Le tailleur jupe passe encore ; mais la chemise blanche elle déteste. Pire, lorsqu'elle s'attache les cheveux, elle ne voit plus que ses oreilles, qui dépassent un peu, et aussi d'autres traits grossis sur son visage dégagé. Elle se sent enchaînée, dévoilée sous son mauvais jour et voit son charme déserter. Ses cheveux, c'est un peu tout ce qu'elle a pour plaire, qu'elle songe. Alors elle use du mascara et de ses autres fards ombrés. Une chance que la couleur des yeux ne change pas ; le bleu fait très cliché mais demeure la vedette. Dans sa jupe satinée elle assume son 40 et se sent femme un peu.
Sarah M. travaille pour une agence réputée ; elle subit les escarpins douloureux et les clients mal éduqués. A son poste elle est entourée d'hommes élégants, certains trop silencieux et d'autres trop charmants. Elle est aussi la plus jeune de l'équipe et se sent seule un court moment ; comment obtenir de l'estime quand on n'a pas vingt ans. Mais très vite un sourire s'affiche et des mots font surface ; Sarah M. se détend et se défait de sa carapace.
Sarah M. a perdu la foi dans le plus beau des domaines. Elle se pense libérée d'un poids, d'une passion toujours vaine. Mais quand son collègue T. la regarde et se retourne encore, les idées fusent et son cœur cogne une fois. Quand il s'approche pour la connaître un peu, elle veut croire à des formalités et répond sobrement, sans trop de façons – et c'est à peine si elle lui retourne les questions. Quand il lui fait Bouh par derrière alors qu'elle converse avec l'autre, elle cligne des yeux et ne sait pas s'il y a autre chose – à quoi bon, midi et demie est pour bientôt.
Quand Sarah M. rentre chez elle, elle repense au contact bref, aux quelques rires échangés. Il est peut-être trop tard maintenant pour s'en soucier. Dans son ventre des papillons prennent leur envol et disparaissent lentement ; touts petits et discrets : les mêmes qu'à ses treize ans.
Sarah M. jette son linge au sol et se change en elle-même. Elle relâche ses cheveux et s'examine dans la glace. Elle soupire et va se coucher, piétinant son badge au passage, qui traîne par terre.
Ce pauvre badge volé ; une autre identité, futile et éphémère, au prénom emprunté.
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