Je vois ma chambre, je vois mon lit. Je vois mal, je vois trouble, mais je les vois. Je me réveille, en somme. Mais quand il faut se lever, c'est la panique : impossible de bouger. De temps à autres, je parviens à relever le buste, non sans difficultés. Un regard vers le réveil et les minutes se secouent. On dirait que mes yeux se la jouent trente-trois tours. La pièce a cette lueur sombre et bleutée dont se servent les cinéastes pour leur séquence rêve et autre dimension. Glauque.
Ça pourrait s'arrêter là mais ça empire après. Parfois – souvent – il y a quelque chose au bout de mon lit, quelque chose qui se cache, qui est planté et qui m'observe. Il est à contre-jour et les volets sont encore fermés, il n'y a que ses contours qui sont visibles. Sa silhouette n'est apparue qu'une fois, et c'est sa tête, aux formes obscures et aux oreilles pointues qui me faisait face. J'ai même pris ça pour des cornes, dans l'intuition paniquée de l'instant – c'est le Diable oh mon Dieu c'est Lui. Mais ça, c'était juste une fois. Les autres fois, c'était pire. C'était sombre et bleuté, ça je l'ai déjà dit. Et ce quelque chose était là, dans un manteau discret de présence mais aux vibrations relâchées. Je le sens, il est ici, il est là, le quelque chose.
Sa première visite, je l'ai d'abord associée à celle de mon chat. Mon chat, mon amour, cette adoration qui pousse ma porte pour un petit squat. Derrière ma tête la porte s'ouvre dans son bruit habituel, un petit grincement puis un silence flou. Je sens Ciboulette – le chat, l'adoration – faire le tour du lit ; allongée les yeux mi-clos, je (re)sens qu'elle considère la couette, juste un moment, puis se décide à sauter. Brom. Seigneur qu'elle est lourde. Puis sa marche, délicate, jusqu'à mon corps endormi. Une patte, puis l'autre. Tip. Tap. Tap. Tip. Elle est proche. Elle monte sur mon ventre, s'avance vers ma poitrine. SEIGNEUR QU'ELLE EST LOURDE. Mon chat est gros, je l'assume sans mal, mais là je respire avec peine. Un soupir douloureux s'échappe, je voudrais bien la pousser mais mes bras sont immobiles. Non, c'est trop lourd, pourquoi est-ce si lourd. Et soudain c'est monté à ma gorge. Ce n'est pas mon chat. C'est une main, qui m'étouffe, qui m'étrangle. Je me débats un instant, mes membres se mouvent, progressivement. J'allume la lumière – enfin j'y arrive. Ça s'écarte. On dirait que ça s'envole, que ça s'échappe doucement, comme une lueur lointaine ou un moustique qu'on dérange. J'ai des sueurs froides, le cœur et le souffle en bataille ; mes yeux balaient la pièce : la porte est fermée, Ciboulette n'est pas là. Bordel, c'était quoi ça.
La deuxième fois, ça démarre avec le même schéma. Impression de migraine et de demi-conscience, je ne peux rien saisir et ne vois pas grand chose. Mais cette fois, pas de bruit, pas de porte ; cette fois, c'est ma cheville qu'on agrippe, celle qui prenait froid, celle qui dépasse du drap. C'est la main, c'est la même. Je sens ses doigts autour du membre, qui serrent et qui me tirent vers elle. Je me dégage, et en sursaut j'allume la lumière. Bon sang, c'est pas vrai.
La troisième fois, c'est venu depuis la fenêtre, du pied du lit, une fois encore. Ça a dû me survoler, me considérer, peut-être m'envisager. Je me suis mise sur le ventre, face à l'oreiller – je l'étais sans doute déjà. Et ça m'a prise par derrière, un bras autour de ma gorge, un bras qui s'enroule, un bras qui serre, qui serre ! Je n'arrive pas à respirer et me remémore la première fois : je m'en suis sortie. Si cette chose veut jouer avec moi, me dire quelque chose ou se foutre de moi, elle ne va jamais jusqu'au bout. Alors, il faut peut-être lâcher prise, et attendre qu'elle parte. Lasse. Et elle est partie – cette connasse. J'ai allumé la lumière et respiré un grand coup. Je suis libre. Non sans un relent de panique encore fraîche, de peur encore vive. Bordel, qu'est-ce qui m'arrive.
J'ai d'abord cru à un fantôme. Un passager clandestin, un autre qui vient d'ailleurs, un revenant du plus loin. Pas un visiteur fortuit, pas une âme égarée qui passait par là. Je voyais la chose en grand : le poltergheist, le monstre, le démon suprême. Un esprit frappeur qui se joue de mes peurs, une force qui cherche à m'avoir, à posséder mon corps, s'emparer de mon esprit, me retirer mon libre-arbitre. On notera l'influence de L'Exorciste et autres productions sur le thème.
J'ai ensuite pensé à une trace. Une empreinte qui se fait entendre, qui a besoin d'être écoutée, puis effacée. Soulagée. Un acte de violence, une mort prématurée, un cri de douleur attaché aux murs de ma chambre. Quelque chose d'ancien relié au lieu de mes nuits. Quelque chose qui a besoin de moi, qui veut me parler. On notera l'influence de Sixième Sens et des autres films du genre.
J'ai ensuite songé à des terreurs nocturnes, similaires à celle de l'enfance, où l'on se retrouve au milieu du lit, qu'on tend les mains vers un mur qui n'est plus là, et qu'on se cogne sur un nouveau quand on songeait tomber sur l'oreiller. C'était plus plausible, bien plus rationnel. Mais aussi beaucoup trop différent et pas assez convaincant.
Et j'ai commencé à paniquer, en voyant l'évènement se répéter. A me convaincre des hypothèses émises, à me dire que c'était possible. J'ai fait peur à ma famille, j'ai fait peur à mes amis. J'en ai sûrement déjà trop dit, mais qu'importe, je sais ce que j'ai vécu. Qu'on me croit ou non, il fallait que j'en parle, que j'explique, que je prouve.
Puis j'ai fait des recherches, et suis tombée sur cet article.
Je n'avais encore jamais entendu parler de paralysie du sommeil. Il a fallu que je tombe sur une critique d'Insidious pour en apprendre un peu plus. Il semble que mon intérêt pour ce film à mon sens mal apprécié ne soit pas si anodin. Un commentaire d'une amatrice et me voilà redirigée. Wikipédia, que ferais-je sans toi.
Je prends le temps, il est tard et je n'ai pas sommeil. J'ai juste un peu peur du noir de la pièce et des cris dans la télé. Mais les indices qu'on me donne ne sont pas négligeables, et je lis ce qui est écrit comme on dévore un livre d'épouvante. J'adore et je frissonne en même temps. Au fond de moi une petite chose s'apaise et un voile se relève ; la vérité se révèle enfin et mon Dieu ça fait du bien. Tout coïncide et se relie à ce que j'ai vu, senti, et vécu. Je ne suis ni folle ni possédée. Et jusqu'à preuve du contraire, ma chambre n'est ni maudite ni damnée.
Je souffre « juste » de paralysie du sommeil. Je ne suis pas la seule dans ce cas, et peux même en tirer profit. Il est dit que l'angoisse peut se muer en extase et que les hallus peuvent être choisies. Ok, si je pense Oliver Phelps, on le fout dans mon pieu ? Je préfère ça à une chose informe qui cherche à me buter. Et il vaudrait mieux que ça marche ; car il est dit qu'on n'en guérit pas. Aucun traitement. Jamais.
Alors, comment dire. Savourez votre sommeil de plomb, endormez-vous heureux. De mon côté, je vais tâcher de faire apparaître des poneys, et d'autres trucs joyeux.
Titre en référence à la chanson de Féebrile. Crédits photos : Féebrile.
Peintures : Le Cauchemar de Henry Fuseli et Le Cauchemar de Nicolai Abildgaard.
Erf ... Bon courage. Je ne sais pas quoi dire d'autre, mais j'espère que tu sauras t'adapter à ce truc jusqu'à ce que ce soit lui qui s'adapte à toi.
RépondreSupprimerMerci. Si j'arrive à modeler ça à mon aise, ça va se transformer en super trip, je croise les doigts ^^
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