vendredi 30 décembre 2011

VI

Il n'y a pas plus grand que cet éclat éphémère, que cette lumière dans l'iris qui passe et qui s'échange avant de s'éteindre. Tu le sais, tu la connais, tu l'as vue, toi, l'aveugle ; tu l'as volée un instant quand je te mangeais des yeux. A ce moment j'ai dû souhaiter une pièce vide et obscure, un silence de mort et ton soupir comme ligne de départ. J'y ai vu la chaleur des corps, la mouvance de nos chairs et nos doigts entrelacés, mes cheveux couvrant mes seins ; rideaux que tu ouvres, que tu caresses, avec tes mains. Allongés sur le reste du monde, nous embrassions les bas fonds de nos désirs et les abîmes de nos fantasmes. J'ai le cœur adolescent et les envies d'une femme, le cœur amoché quand tu pilles mes regards, le cœur qui me bat, qui me tue, piteux rempart. J'ai la haine de mes principes que tu bafoues, de ton visage contre ma réticence ; la haine de ce Toi que j'adore malgré ton insolence, de cette attente qui me tue sans en avoir conscience. Et toi léthargique, tu dors. Tu dors quand je me tue à hurler l'inaudible, à dire un pesant silence, et à taire des secrets honteux. Sur ta vie je me prends à jurer, sur ton nom que j'insulte aussi, dans les instants de colère où tes yeux mériteraient d'être crevés ; est-ce que tu sens l'évidence qui s'abat sur nos spectres ? Elle me susurre les difformités qui refont surface, un rire amer, une caresse de glace ; pleurer sur le dos d'un autre qui n'est digne que d'une garce. L'humaine s'en contente parce que l'humaine a faim, et cet hymen est un doux fantôme qui s'en est allé loin. Je devrais cracher sur ta joue parfaite, planter une lame dans ta paume pour que tes doigts s'ouvrent enfin ; car c'est sans pitié que tu m'achèves, dans l'innocence d'un salut bref, par un signe de la main.

The Shrew Katherina by Edward Robert Hughes

vendredi 9 décembre 2011

L'oeil moderne

Habituellement connu pour ses premières œuvres des années 1880, Edvard Munch tendrait pourtant plus à être considéré comme un artiste du XXe siècle, dans la mesure où la majorité de ses tableaux et autres productions artistiques ont vu le jour après 1900. Si dans les croyances populaires Le Cri demeurait l'œuvre à voir ou à découvrir lors de chacune des expositions à son sujet, il n'en est question à aucun moment durant Edvard Munch, L'oeil moderne, au centre Pompidou de Paris. Prenant comme départ le thème de la rupture artistique du peintre au début du XXe siècle, l'exposition s'axe sur sa modernité et son ouverture au monde, fruit de son inspiration nouvelle, quand on le qualifiait jusqu'ici d'artiste renfermé et solitaire, tourné vers son propre univers. Il est en réalité fortement inspiré par les scènes quotidiennes et contemporaines qu'il ramène de ses nombreux voyages et se rapproche de plus en plus des autres formes de représentation artistique que sont le cinéma et la photographie. C'est ainsi que la première salle demeurera l'unique lieu d'exposition d'œuvres antérieures à 1900 comme Le Vampire, non sans un lien direct avec le but premier de cette rétrospective. Voyons ainsi comment l'artiste s'inspirent des médias et de ses propres expériences pour assurer et renforcer le caractère unique de la modernité de ses œuvres.
Dans la première salle, des œuvres sombres de ses débuts. Des couleurs qui cohabitent avec l'obscurité des scènes représentées ; là sont les œuvres du Munch torturé et solitaire que le public reconnaît rapidement. Mais très vite le parcours s'enchaîne sur de nombreux clichés du peintre ; des photographies de ses tableaux en réalisation ou bien achevés, de lieux associés à ses souvenirs personnels, et essentiellement des autoportraits. L'idée de trace apparaît évidemment première dans ce travail que l'on pourrait qualifier « d'amateur » - Munch étant avant tout un peintre et non un photographe -, et le rapport autobiographique reliant l'artiste à ses clichés ne peut être écarté. Néanmoins, son travail photographique se justifie également à travers sa grande curiosité qu'on lui connaît mal : Munch tente à travers sa grande série d'autoportraits de faire corps avec la peinture même, en cherchant à représenter les effets de transparence que l'on retrouve dans les poses longues. Le flou ainsi que le jeu des lumières et des contrastes clair/obscur sont parfaitement notables sur un grand nombre de ses clichés et se retrouvent par ailleurs dans certains de ses tableaux que l'on découvrira durant la suite de la visite.
Non loin de cette série de photographies se trouve la projection d'un film en noir et blanc, sur un petit écran aux côtés d'une grande peinture. Le film représente l'artiste au sein de l'atmosphère urbaine de Paris, pendant un de ses voyages. Équipé d'une petite caméra amateur, le peintre capture les moments mémorables de ses visites, dont il se servira plus tard dans son travail et dont il souhaite conserver une vision parfaitement identique plus qu'un simple souvenir vague et bancale. Au même titre que la photographie dont nous avons vu qu'il s'inspirait beaucoup, Munch témoigne à travers ces cinq minutes et dix-sept secondes de tournage son besoin de conserver une trace, aussi bien à titre personnel et mémoriel qu'à titre d'inspiration et de nouveauté dans son œuvre. Parmi les images capturées : le mouvement des piétons, un tramway et d'autres paysages rapportent sa fascination pour le mouvement incessant des scènes quotidiennes et du réalisme dont elles font preuve. Le peintre tend ainsi à conserver la moindre image, le moindre effet et preuve visuelle de réalité l'ayant touché pour réussir, d'une façon ou d'une autre, à l'insérer dans son travail.
Cette nouvelle vision de l'espace optique se traduit aussi par une puissante théâtralité présente au sein de ses tableaux, laquelle est à la fois dû à une nouvelle perspective de sa part et à son intérêt pour la mise en scène au théâtre (sensiblement retrouvée dans les œuvres cinématographiques auxquelles il porte intérêt.) En effet, le traitement de l'espace devient tout à fait singulier dans la mesure où une ou deux lignes de force augmente la perspective générale de la scène et renforce le mouvement. Les personnages sont ainsi mis le plus en avant possible, intensifiant ainsi la relation entre le tableau et le spectateur : la distance entre les deux est réduite au minimum afin de faciliter l'empathie émotionnelle. Cette théâtralité dans la disposition de la scène et des personnages se retrouvent dans nombre de ses tableaux, notamment celui à droite de l'écran de projection où le Cheval au galop semble prêt à sortir de la toile et à se confondre avec notre propre espace, de façon à ne former plus qu'une seule réalité ; on pourrait presque dire que le spectateur participe involontairement et même de façon contrainte à la scène représentée. Se rattache aussi à cet aspect la culture du rayonnement, lui permettant de peindre les ombres et les vibrations colorées qu'elles dégagent afin de voir à travers même le corps opaque – la Nuit étoilée et Le Soleil en sont les principaux exemples. L'on retrouve dans la dimension de ces tableaux les effets de relief et le réalisme poignant de la trivialité des scènes auparavant photographiées et filmées par ses soins.

Autre aspect notable et plus éloigné des médias que les points précédents : l'obsession de l'auteur pour la répétition et son désir d'emmener le spectateur toujours plus loin, vers un jour nouveau et une modernité inédite. Son obsession pour le sujet se retrouve à travers sa série de tableau de la Femme en pleurs, scène qu'il reproduit également sous la forme d'une petite sculpture, forme artistique qu'on lui sait plutôt rare. Ceci fait écho à son désir de revivre une première sensation tout comme à celui de présenter quelque chose de connu sous un nouvel aspect. C'est ce qui m'a personnellement le plus marquée sensiblement parlant : une des premières œuvres de l'exposition, Le Vampire de 1893, énoncée en début de propos, est reprise par le peintre entre 1916 et 1918 ; les personnages centraux restent les mêmes mais leur environnement est modifié. L'obscurité de nature sombre et inquiétante est écartée au profit d'un paysage de forêt plus ou moins clair et coloré. La dimension déjà effrayante de la première version est à présent redoublée par son aspect réaliste de scène se déroulant en plein jour, ou bien selon les avis, écartée au profit d'une signification plus tendre d'une scène amoureuse empreinte de romantisme et d'érotisme. Seul Munch, à vrai dire, serait apte à pouvoir clairement en juger. Dans tous les cas, il apparaît clairement que la modernité de son œuvre soit déjà bien présente durant ses débuts ; elle serait simplement moins évidente au premier coup d’œil.

Ce serait donc loin du Cri et des autres peintures du XIXe siècle que Munch ferait preuve de son talent en matière d'avant-gardisme. C'est à travers l'utilisation majeure des procédés du cinéma et de la photographie que le peintre montre sa modernité et son originalité. C'est en exposant ses inspirations diverses et ses expériences personnelles mémorielles, sensorielles et physiques que Munch tend à demeurer l'un des peintres les plus représentatifs de son époque. En effet, un dernier détail gagnerait à être précisé afin de souligner notre conclusion : ses troubles de la vision donnent naissance à des représentations picturales de son regard, de lui-même se regardant regarder, lesquelles se trouvent être fortement empreintes d'une étrangeté que l'on peut rapprocher de ses premières œuvres présentes dans la première salle de l'exposition. Cette interférence du bizarre et du nouveau apportent ainsi à cette œuvre une modernité sans égale et fait ainsi écho à la touche personnelle de l'artiste dans le restant de son travail : l'œil est étrange, flou, et presque méconnaissable : c'est la vision de l'artiste qui apparaît alors comme unique et tout à fait personnelle. Le titre de l'exposition y fait d'ailleurs fortement allusion ; Edvard Munch n'est pas qu'un artiste à l'œil sensible, c'est un peintre à « l'œil moderne. »
Edvard Munch, L'oeil moderne, au Centre Pompidou jusqu'au 23 janvier 2012.

mercredi 16 novembre 2011

Un peu de rêve s'il vous plaît


Novembre. Certains jours glacent le sang, et la nuit tombe tôt. Je sors du métro.
C'est comme si le temps venait à manquer. Les jours se raccourcissent et tout passe plus vite, les semaines défilent. En cours la paupière se joue de l'orateur, et au travail le cheveu tombe vite. Je me recoiffe souvent car les longueurs s'emmêlent. J'ai un peu de mascara sous les yeux ; c'est fou ce qu'il fait comme traces celui-là.

L'ennui et la fatigue m'emmerdent.

Y'a cette lassitude qui me pourrit de l'intérieur, des matins où je m'effondre et des nuits où je transpire - toute seule, dans des draps que je change le lendemain. J'ai plus le temps de me coucher devant un film à quatre heures, de prendre un bain dans un appart vide, de me vernir les ongles et de les voir s'écailler, plus le temps pour les cafés tapageurs aux lustres éclatants, ni pour les bouquins que j'achète et qui meurent dans la bibliothèque.

C'est faux, je lis, mais pour les cours, donc ça ne compte pas. (Non. Peut-être. Juste un peu.)

Je voudrais retrouver des moments pour moi, sans conséquences ni retards qui s'ensuivent ; en attendant je me laisse bercer par des envies de choses futiles : je regarde des comédies populaires et danse sur du Janis Joplin.

Novembre. Il fait gris et mes doigts hésitent. Ma plume est hasardeuse, maladroite, et se fait rare ces temps-ci. Pour ce que ça vaut, trois semaines de poisse excusent sans doute la misère de l'âme.

dimanche 30 octobre 2011

P7 au Bus Palladium


Je ne suis pas très boîtes, ou clubs, appelez-ça comme vous voudrez. J'ai commencé dans ma banlieue sinistre où le piteux mâle des villes côtoie le miteux mâle des champs - autant vous dire que ça m'a rebutée, et qu'une soirée mamie valait mieux qu'une soirée Boulbi. Mon truc, c'est plutôt de boire de la bière en cuissardes, avec un pote aux yeux rouges et une keupine bien sapée. Et des monacos, pour la touche girly, et des mojitos, pour la touche torchée. Les pubs, les bars, c'est trop le bien. Les boîtes, en fait, je connais moins.
Il aura fallu une soirée étudiante pour que je me décide enfin à contrer le cliché que la racaille du Plessis avait instauré. Bon, en même temps, c'était un commun accord avec les poulettes. "On y va, pour une fois." Et nous sommes allées. Et nous avons ris, et nous avons bu, et nous avons dansé (même qu'on était bonnes.)

Du fond de nos sièges on n'en perd pas une, à cramer la robe en paillettes prise en sandwich entre deux tees transpirants, les lunettes du geek décollées du RPG et qui s'en vont danser gaiement ; aussi de vieilles connaissances qu'on est heureux de retrouver - même qu'on se chamaille un peu et qu'on crie pour se parler. La keupine à gauche siffle des verres qu'on lui offre et en ressort toute joyeuse, la keupine à droite mitraille les cas (et pas de cadeau mon gars) et mon Dieu comme je ris, la keupine en face gueule les bras en l'air, et sur les côtés l'Iphone de la keupine de gauche me filme en train d'avouer mon kiffe pour le prof d'anglais (c'est qu'il est british, for God sake !)

Bref, le Bus Palladium a vu son défilé de poulettes jeudi soir. Même qu'avant on a vu Yann Tiersen fumer des clopes et jouer de la guitare. S'en est suivi l'apéro sur les bancs publics et les bouteilles de blanc en bas des marches ; mais ça, les amis, c'est une autre histoire.

Et on dit merci à R&F pour l'organisation, et à Romain pour les photos siglées. Oh yeah.



dimanche 23 octobre 2011

L'enfance choyée

Le dimanche midi chez la grand-mère, fin de weekend cliché de toute famille qui se respecte. L'apéritif est toujours long et l'on savoure le champagne avec de la crème de pêche ; il fait encore bon dans la véranda. Le Soleil tape à travers la vitre et l'on profite des dernières chaleurs : c'est l'automne et le froid se fait sentir, vif et prenant, prêt à poser bagages pour plusieurs mois. Le repas est toujours bon, toujours chaud, et sur les murs sont projetés les souvenirs d'autres déjeuners comme celui-ci.
Je me revois à travers les années, dans cette maison où j'ai ri, où j'ai pleuré, où j'ai appris, où j'ai joué. Où j'ai grandi. Ses pièces et son couloir sont pleins d'âme, je peux encore y entendre le pas lent du grand-père, ce beau monsieur au regard doux, mon Papy que chacun aimait. Le jardin a perdu ses fleurs estivales, et pourtant les couleurs demeurent. Ici me voilà à cinq ans, sur une table miniature, à dessiner le chemin ; et là vous me voyez à huit, manger des spaghettis dans ma maisonnette, vidée pour l'occasion ; ici j'ai deux ans de plus, et je joue avec ma sœur, à la corde, au ballon, dans la piscine, ou au cerceau.
Les mardi soirs c'était croque-monsieur, et l'on regardait les programmes populaires. En hiver le salon croulait sous les paquets, le sapin était près du fauteuil, et les décorations toujours plus nombreuses. Avant cela on fêtait Halloween et chevauchait des balais ; et au printemps l'on cherchait les œufs de Pâques dans les buissons. Et pour prévenir une seconde d'ennui, l'on jouait à peindre, à créer, cuisiner, jardiner, et dans les moments calmes, aux jeux de société. Le petit déjeuner, dans la cuisine, ou devant les dessins animés.
Et la veilleuse, avant de s'endormir, toujours allumée.



dimanche 2 octobre 2011

Le monstre de ma chambre.

Il y a quelques jours, un étrange phénomène de plus en plus récurrent s'est reproduit peu avant mon réveil.
Je vois ma chambre, je vois mon lit. Je vois mal, je vois trouble, mais je les vois. Je me réveille, en somme. Mais quand il faut se lever, c'est la panique : impossible de bouger. De temps à autres, je parviens à relever le buste, non sans difficultés. Un regard vers le réveil et les minutes se secouent. On dirait que mes yeux se la jouent trente-trois tours. La pièce a cette lueur sombre et bleutée dont se servent les cinéastes pour leur séquence rêve et autre dimension. Glauque.
Ça pourrait s'arrêter là mais ça empire après. Parfois – souvent – il y a quelque chose au bout de mon lit, quelque chose qui se cache, qui est planté et qui m'observe. Il est à contre-jour et les volets sont encore fermés, il n'y a que ses contours qui sont visibles. Sa silhouette n'est apparue qu'une fois, et c'est sa tête, aux formes obscures et aux oreilles pointues qui me faisait face. J'ai même pris ça pour des cornes, dans l'intuition paniquée de l'instant – c'est le Diable oh mon Dieu c'est Lui. Mais ça, c'était juste une fois. Les autres fois, c'était pire. C'était sombre et bleuté, ça je l'ai déjà dit. Et ce quelque chose était là, dans un manteau discret de présence mais aux vibrations relâchées. Je le sens, il est ici, il est là, le quelque chose.
Sa première visite, je l'ai d'abord associée à celle de mon chat. Mon chat, mon amour, cette adoration qui pousse ma porte pour un petit squat. Derrière ma tête la porte s'ouvre dans son bruit habituel, un petit grincement puis un silence flou. Je sens Ciboulette – le chat, l'adoration – faire le tour du lit ; allongée les yeux mi-clos, je (re)sens qu'elle considère la couette, juste un moment, puis se décide à sauter. Brom. Seigneur qu'elle est lourde. Puis sa marche, délicate, jusqu'à mon corps endormi. Une patte, puis l'autre. Tip. Tap. Tap. Tip. Elle est proche. Elle monte sur mon ventre, s'avance vers ma poitrine. SEIGNEUR QU'ELLE EST LOURDE. Mon chat est gros, je l'assume sans mal, mais là je respire avec peine. Un soupir douloureux s'échappe, je voudrais bien la pousser mais mes bras sont immobiles. Non, c'est trop lourd, pourquoi est-ce si lourd. Et soudain c'est monté à ma gorge. Ce n'est pas mon chat. C'est une main, qui m'étouffe, qui m'étrangle. Je me débats un instant, mes membres se mouvent, progressivement. J'allume la lumière – enfin j'y arrive. Ça s'écarte. On dirait que ça s'envole, que ça s'échappe doucement, comme une lueur lointaine ou un moustique qu'on dérange. J'ai des sueurs froides, le cœur et le souffle en bataille ; mes yeux balaient la pièce : la porte est fermée, Ciboulette n'est pas là. Bordel, c'était quoi ça.
La deuxième fois, ça démarre avec le même schéma. Impression de migraine et de demi-conscience, je ne peux rien saisir et ne vois pas grand chose. Mais cette fois, pas de bruit, pas de porte ; cette fois, c'est ma cheville qu'on agrippe, celle qui prenait froid, celle qui dépasse du drap. C'est la main, c'est la même. Je sens ses doigts autour du membre, qui serrent et qui me tirent vers elle. Je me dégage, et en sursaut j'allume la lumière. Bon sang, c'est pas vrai.
La troisième fois, c'est venu depuis la fenêtre, du pied du lit, une fois encore. Ça a dû me survoler, me considérer, peut-être m'envisager. Je me suis mise sur le ventre, face à l'oreiller – je l'étais sans doute déjà. Et ça m'a prise par derrière, un bras autour de ma gorge, un bras qui s'enroule, un bras qui serre, qui serre ! Je n'arrive pas à respirer et me remémore la première fois : je m'en suis sortie. Si cette chose veut jouer avec moi, me dire quelque chose ou se foutre de moi, elle ne va jamais jusqu'au bout. Alors, il faut peut-être lâcher prise, et attendre qu'elle parte. Lasse. Et elle est partie – cette connasse. J'ai allumé la lumière et respiré un grand coup. Je suis libre. Non sans un relent de panique encore fraîche, de peur encore vive. Bordel, qu'est-ce qui m'arrive.
J'ai d'abord cru à un fantôme. Un passager clandestin, un autre qui vient d'ailleurs, un revenant du plus loin. Pas un visiteur fortuit, pas une âme égarée qui passait par là. Je voyais la chose en grand : le poltergheist, le monstre, le démon suprême. Un esprit frappeur qui se joue de mes peurs, une force qui cherche à m'avoir, à posséder mon corps, s'emparer de mon esprit, me retirer mon libre-arbitre. On notera l'influence de L'Exorciste et autres productions sur le thème.
J'ai ensuite pensé à une trace. Une empreinte qui se fait entendre, qui a besoin d'être écoutée, puis effacée. Soulagée. Un acte de violence, une mort prématurée, un cri de douleur attaché aux murs de ma chambre. Quelque chose d'ancien relié au lieu de mes nuits. Quelque chose qui a besoin de moi, qui veut me parler. On notera l'influence de Sixième Sens et des autres films du genre.
J'ai ensuite songé à des terreurs nocturnes, similaires à celle de l'enfance, où l'on se retrouve au milieu du lit, qu'on tend les mains vers un mur qui n'est plus là, et qu'on se cogne sur un nouveau quand on songeait tomber sur l'oreiller. C'était plus plausible, bien plus rationnel. Mais aussi beaucoup trop différent et pas assez convaincant.
Et j'ai commencé à paniquer, en voyant l'évènement se répéter. A me convaincre des hypothèses émises, à me dire que c'était possible. J'ai fait peur à ma famille, j'ai fait peur à mes amis. J'en ai sûrement déjà trop dit, mais qu'importe, je sais ce que j'ai vécu. Qu'on me croit ou non, il fallait que j'en parle, que j'explique, que je prouve.
Puis j'ai fait des recherches, et suis tombée sur cet article.
Je n'avais encore jamais entendu parler de paralysie du sommeil. Il a fallu que je tombe sur une critique d'Insidious pour en apprendre un peu plus. Il semble que mon intérêt pour ce film à mon sens mal apprécié ne soit pas si anodin. Un commentaire d'une amatrice et me voilà redirigée. Wikipédia, que ferais-je sans toi.
Je prends le temps, il est tard et je n'ai pas sommeil. J'ai juste un peu peur du noir de la pièce et des cris dans la télé. Mais les indices qu'on me donne ne sont pas négligeables, et je lis ce qui est écrit comme on dévore un livre d'épouvante. J'adore et je frissonne en même temps. Au fond de moi une petite chose s'apaise et un voile se relève ; la vérité se révèle enfin et mon Dieu ça fait du bien. Tout coïncide et se relie à ce que j'ai vu, senti, et vécu. Je ne suis ni folle ni possédée. Et jusqu'à preuve du contraire, ma chambre n'est ni maudite ni damnée.
Je souffre « juste » de paralysie du sommeil. Je ne suis pas la seule dans ce cas, et peux même en tirer profit. Il est dit que l'angoisse peut se muer en extase et que les hallus peuvent être choisies. Ok, si je pense Oliver Phelps, on le fout dans mon pieu ? Je préfère ça à une chose informe qui cherche à me buter. Et il vaudrait mieux que ça marche ; car il est dit qu'on n'en guérit pas. Aucun traitement. Jamais.
Alors, comment dire. Savourez votre sommeil de plomb, endormez-vous heureux. De mon côté, je vais tâcher de faire apparaître des poneys, et d'autres trucs joyeux.
Titre en référence à la chanson de Féebrile. Crédits photos : Féebrile.
Peintures : Le Cauchemar de Henry Fuseli et Le Cauchemar de Nicolai Abildgaard.

dimanche 18 septembre 2011

Les adultes, ces grands enfants

Pendant que la génération 90's côtoie la vingtaine et n'a de cesse de parler permis, appart et finances, les procréateurs des grands hommes de demain font la gueule à la cinquantaine qui se pointe. Non contents des rides apparentes et du poil blanc sur le crâne comme ailleurs – il est vu que l'on vieillit de partout – l'adulte lambda semble mal assumer cette montée vers un âge plus sage et ses attitudes s'en ressentent. Quelqu'un m'a dit il n'y a pas longtemps que vers vingt ans en moyenne, l'on acquiert une certaine maturité que nos géniteurs semblent perdre au fur et à mesure qu'approche leur demi-siècle d'existence ; c'est du moins ce que j'ai conclu du fatidique mais on ne peut plus évident « l'on devient parent de ses parents. »
Si pendant l'enfance ils étaient nos seuls modèles sur Terre (si l'on exclue Action Man et Britney Spears), c'est d'abord l'ado rebelle puis le jeune adulte pensant que l'on devient qui se met vite à agir et réfléchir dans un sens contraire au leur – ce n'est pas tant le choc des générations qui s'opère, mais surtout une jalousie malsaine que le bientôt vieux n'avoue pas et que le presque adulte ignore non sans un soupir égaré.
La crise du début de vieillesse est facilement reconnaissable. Elle varie selon les cas, mais se reconnaît souvent à plusieurs détails notoires dans l'attitude des concernés. Souvent divorcé, célibataire ou récemment en couple, l'adulte a quarante-six ans et se découvre une âme de fêtard invétéré. Il écume les bars, les concerts de hard ou les clubs parisiens. Se fait draguer, cherche à plaire, paie sa tournée. Chaque weekend, et même en semaine, c'est apéro, puis resto, et plus encore si l'on est chaud. Un décalage certain mais néanmoins légitime ; se la jouer mamie à cinquante piges, ça la fout mal. Donc on adhère, mais en observant de loin – évitons la cuite familiale au possible.
En sus des sorties répétées s'additionnent un inconditionnel goût du drame et des portes claquées. Dans la mesure où le domicile parental est encore nôtre faute de moyens suffisants, une vaisselle oubliée ou deux miettes sur la moquette deviennent de véritables sujets de tragédies modernes. Et pour cause, l'adulte a découvert Facebook et se détourne des tâches ménagères. Les notifs battent l'aspirateur en terme de popularité, et le géniteur s'extasie d'un Lol ;-))) sur une caricature de Sarkozy. Conséquence ? On se sent beau gosse de faire les carreaux une fois par semaine, quand l'adulte chiale sa fatigue et demande reconnaissance au moindre meuble épousseté.
Et outre la pièce de vie en bordel, le plus petit coup de pompe se mute en dépression à tendance suicidaire. Si les plus sages ne sont qu'un peu plus émotifs, les plus délurés auront tendance à tout dramatiser. Un coup de téléphone manqué comme de la paperasse à gérer, rien dans la tête de l'adulte stressé ne ressort d'une oreille avec une once de raison ; l'insignifiant devient grave quand le plus urgent est mis de côté. Résultat des courses : factures impayées, collection de messages vocaux et trente-six mégots dans le cendrier. Et bien, c'est du propre, que dirait Mamie.
Grossièrement, nos parents ont quinze ans.
La question à se poser, toute facile, toute simple, évidente... Pourquoi ?
Il n'y a qu'à observer nos propres habitudes. Selon les humeurs et les envies, les coutumes de la vingtaine varient mais se rapprochent les unes des autres. On étudie, on bosse, on sort, on boit, on baise. Rien de bien surprenant jusqu'ici, au détail près que l'on peut tout faire en assurant le lendemain au bureau, à la fac ; au boulot. Rien n'arrête le jeune adulte qui jouit de son indépendance néanmoins partielle, il dévale les escaliers de métro, enchaîne deux amphis sur la reproduction intracellulaire de micro-organismes puis file boire un verre avec copain 1 et copain 2 dans cet irish bar tellement hype dans lequel il démarre son service le quart d'heure suivant. Et quand il rentre, il a encore le temps d'écrire un article pour son blog, deux trois conneries sur Twitter et de liker des photos sur Facebook. Le jeune est surpuissant, le jeune est invincible. Et pour cause, il dort six heures par nuit, et tient toujours le coup quand son père en a besoin de dix.
La conclusion est alors évidente : le parent est, et de façon légitime, tout simplement jaloux.
Jaloux d'une beauté encore fraîche, d'un optimisme déconcertant et d'une ingéniosité sans faille ; alors qu'ils commencent à applaudir nos actions, ils réalisent avec horreur que eux ne sont plus dans le coup. Se développe alors chez eux un complexe d'autorité assez pénible et des plus agaçants, où la réflexion sur l'écharpe oubliée en hiver ou les cheveux trop longs en été ne cessent de frapper. A côté, les moins grognons tenteront de sympathiser avec le jeune et d'entrer dans son cercle si « branché » ; défilent alors gros beaufs et vieux cougars en mal de fraîcheur. Pas des plus glorieux, selon les cas.
Sur ces visions un brin pathétiques de l'homme qui ne veut pas vieillir, le jeune continue sur sa lancée, tout beau tout fringuant qu'il est, résistant à la fatigue et aux premiers coups durs avec pour seule plainte un soupir effacé par un sourire. Le secret, c'est qu'il y a des choses auxquelles il n'ose pas songer. Une question qui l'effleure un instant, mais qu'il ne se pose pas. Il y répond parfois, de lui-même, dans un idéal un peu cliché mais sans vraiment y croire. Au vu des exemples sous ses yeux, il craint souvent de se tromper, et de devoir l'encaisser. Ce passage de l'existence où il s'est proscris d'échouer, pour éviter le ridicule et rester digne dans le temps. « On sera comment, nous, dans vingt ans ? »


samedi 3 septembre 2011

Sarah M.

Aujourd'hui je vais vous parler de Sarah M.

Sarah M. c'est une jeune femme qui s'accepte un peu, et qui pense beaucoup. Elle s'accommode mal aux règles vestimentaires imposées. Le tailleur jupe passe encore ; mais la chemise blanche elle déteste. Pire, lorsqu'elle s'attache les cheveux, elle ne voit plus que ses oreilles, qui dépassent un peu, et aussi d'autres traits grossis sur son visage dégagé. Elle se sent enchaînée, dévoilée sous son mauvais jour et voit son charme déserter. Ses cheveux, c'est un peu tout ce qu'elle a pour plaire, qu'elle songe. Alors elle use du mascara et de ses autres fards ombrés. Une chance que la couleur des yeux ne change pas ; le bleu fait très cliché mais demeure la vedette. Dans sa jupe satinée elle assume son 40 et se sent femme un peu.
Sarah M. travaille pour une agence réputée ; elle subit les escarpins douloureux et les clients mal éduqués. A son poste elle est entourée d'hommes élégants, certains trop silencieux et d'autres trop charmants. Elle est aussi la plus jeune de l'équipe et se sent seule un court moment ; comment obtenir de l'estime quand on n'a pas vingt ans. Mais très vite un sourire s'affiche et des mots font surface ; Sarah M. se détend et se défait de sa carapace.
Sarah M. a perdu la foi dans le plus beau des domaines. Elle se pense libérée d'un poids, d'une passion toujours vaine. Mais quand son collègue T. la regarde et se retourne encore, les idées fusent et son cœur cogne une fois. Quand il s'approche pour la connaître un peu, elle veut croire à des formalités et répond sobrement, sans trop de façons – et c'est à peine si elle lui retourne les questions. Quand il lui fait Bouh par derrière alors qu'elle converse avec l'autre, elle cligne des yeux et ne sait pas s'il y a autre chose – à quoi bon, midi et demie est pour bientôt.
Quand Sarah M. rentre chez elle, elle repense au contact bref, aux quelques rires échangés. Il est peut-être trop tard maintenant pour s'en soucier. Dans son ventre des papillons prennent leur envol et disparaissent lentement ; touts petits et discrets : les mêmes qu'à ses treize ans.
Sarah M. jette son linge au sol et se change en elle-même. Elle relâche ses cheveux et s'examine dans la glace. Elle soupire et va se coucher, piétinant son badge au passage, qui traîne par terre.
Ce pauvre badge volé ; une autre identité, futile et éphémère, au prénom emprunté.
Crédits photos : *

mercredi 31 août 2011

La poule aux cent coqs

Il y a un truc qui m'a chiffonnée, récemment. Un phénomène mixte plutôt répandu, pour ne pas dire mondialement subi par toutes les personnes qui comme moi font la part des choses en s'imposant des limites. C'est la cohabitation, au quotidien, avec ces gueules d'anges qui dans leurs relations cultivent l'ambiguïté. L'archétype du beau gosse en liberté, souvent tactile et aux clins d'œil répétés.

Et il se trouve, ô malheur, que j'en connais une.

Elle est facilement identifiable, a cette beauté assumée et ces petits détails qu'elle partage avec ses semblables. Premier critère : elle est célibataire – et ne s'en cache pas. Elle aime être entourée des hommes et ses contacts Facebook en regorgent. D'ailleurs, ils constituent la majorité de ses notifs. Ces types là sont plein d'espoir et tombent dans le panneau, et multiplient les smileys dans les commentaires pour mieux faire passer les sous-entendus. Et ces prétendants espèrent tous devenir l'élu. Elle, elle répond toujours dans leur sens avec trois petits points, voire trois petits « ♥ » pour les plus chanceux – et quand il y en a au moins un, le gars ne se sent plus.

Mais au final, rien ne se fait, elle reste dans le flou. S'installe un éternel jeu du chat et de la souris à les rendre fous.

A la fac, elle a peu d'amis sincères, mais les quelques gusses à côté d'elle en amphi sont tous à sa botte. Ils la dorlotent et lui offrent des cadeaux. Du paquet d'Haribo au bijou hors de prix, les plus directs l'invitent toujours à manger au resto. En soirée elle se fait servir des verres en jouant la prude enivrée malgré elle ; et avec les copines on l'insulte de pute. Elle n'est pas méchante et souvent même très sociable ; douce et attentionnée, elle sera la première à vous appeler « puce » et à vous ajouter sur le net. Derrière tant de faux semblants, on se prend à sourire en serrant les dents, avant de finir par lui trouver (presque) du charme, et nos insultes deviennent (presque) du vent.

Dans mon cas, ça n'a pas duré longtemps. Du fait que s'est produit le processus inverse, mon taux d'affection pour l'intéressée s'est vu rapidement chanceler. Et pour cause ; c'est avec mon ex, aujourd'hui, qu'elle flirte via le clavier. Mon taux de tolérance, lui, s'est totalement effondré.

Qu'on soit jeune, avec des hormones et des envies, c'est normal, je dis oui. Qu'on soit célibataire et libéré, oui j'adhère. A-t-on pour autant le droit de déambuler le derche en feu, c'est un autre concept. Si de mon côté je vomis au premier laid qui m'appelle, d'autres nanas n'auront aucune pudeur à clamer haut et fort leur célibat et leurs mœurs légères. Et je toise le machin, derrière ce sourire faux qui hurle ta gueule la mère maquerelle.

jeudi 25 août 2011

Andromède

Pas un bruit, pas un son qui ne froisse l'horizon, autre que ces flots qui se brisent et qui muent sur ma peau. Il y a sur la roche mon corps nu qui s'écorche, et dans le vent mes cheveux se mélangent et puis très vite s'embrassent. Une larme perle sous le cil qui frissonne. Ma beauté laissée pour morte, je suis Andromède, condamnée froidement pour avoir eu l'audace de naître. Puis vient l'orage qui gronde et l'éclair qui fait surface ; s'ensuit l'approche de la Bête, qui s'affame au rythme de sa nage. Elle a le croc pointu et le naseau qui saigne, l'œil qui foudroie et la griffe qui lacère. C'est comme une danse qui s'opère quand je l'évite une fois, puis deux ; un ballet funèbre avant le dernier acte. Je sens la fin qui s'élance vers moi quand l'animal s'étend ; mes courbes forcées l'affolent quand mon dos craque alors qu'il se creuse. C'est sous la dent divine que l'on s'apprête à m'éteindre, quand la lueur du jour reparaît : c'est Persée sur son cheval, qui survole les eaux brandissant son glaive. Le rayon de l'aube se reflète dans la lame, qui frappe quatre fois dans le flanc et épargne la tête ; la Bête s'endort faiblement et bientôt la Mer l'emporte. Il rejoint Poséidon son seigneur et les cieux m'ouvrent leurs portes, le doux matin guidant la monture du rédempteur.
L'aurore nous porte vers un nouveau rivage, où célébrer notre union deviendra toile sous la main de l'artiste ; car il n'y a que lui pour retranscrire l'image et retracer mon histoire, le cœur un peu triste sur un fin paysage.
Roger délivrant Angélique, Ingres
Persée et Andromède, Leighton Frederic
Andromède, Jean-Jacques Henner
Andromède, Eugène Delacroix
Persée et Andromède, Van Loo
Persée et Andromède, Titien
Andromède, Gustave Doré
Persée et Andromède, François Lemoyne
Andromède, Giuseppe Cesari
Persée et Andromède, Guido Reni
Andromède, Moreau
Persée délivrant Andromède, Véronèse
Persée secourant Andromède, Joachim Wtewael

mercredi 24 août 2011

Belphégor déserte

Mais moi je suis aux anges. Déçue que la salle égyptienne du livre des morts soit fermée, je n'en profite pas moins des autres qui renferment de vrais trésors. Pour le plaisir des yeux, quelques photos de mon parcours parmi la pierre et la toile auxquelles le génie artistique donna la vie et insuffla une âme.