vendredi 30 décembre 2011

VI

Il n'y a pas plus grand que cet éclat éphémère, que cette lumière dans l'iris qui passe et qui s'échange avant de s'éteindre. Tu le sais, tu la connais, tu l'as vue, toi, l'aveugle ; tu l'as volée un instant quand je te mangeais des yeux. A ce moment j'ai dû souhaiter une pièce vide et obscure, un silence de mort et ton soupir comme ligne de départ. J'y ai vu la chaleur des corps, la mouvance de nos chairs et nos doigts entrelacés, mes cheveux couvrant mes seins ; rideaux que tu ouvres, que tu caresses, avec tes mains. Allongés sur le reste du monde, nous embrassions les bas fonds de nos désirs et les abîmes de nos fantasmes. J'ai le cœur adolescent et les envies d'une femme, le cœur amoché quand tu pilles mes regards, le cœur qui me bat, qui me tue, piteux rempart. J'ai la haine de mes principes que tu bafoues, de ton visage contre ma réticence ; la haine de ce Toi que j'adore malgré ton insolence, de cette attente qui me tue sans en avoir conscience. Et toi léthargique, tu dors. Tu dors quand je me tue à hurler l'inaudible, à dire un pesant silence, et à taire des secrets honteux. Sur ta vie je me prends à jurer, sur ton nom que j'insulte aussi, dans les instants de colère où tes yeux mériteraient d'être crevés ; est-ce que tu sens l'évidence qui s'abat sur nos spectres ? Elle me susurre les difformités qui refont surface, un rire amer, une caresse de glace ; pleurer sur le dos d'un autre qui n'est digne que d'une garce. L'humaine s'en contente parce que l'humaine a faim, et cet hymen est un doux fantôme qui s'en est allé loin. Je devrais cracher sur ta joue parfaite, planter une lame dans ta paume pour que tes doigts s'ouvrent enfin ; car c'est sans pitié que tu m'achèves, dans l'innocence d'un salut bref, par un signe de la main.

The Shrew Katherina by Edward Robert Hughes

1 commentaire:

  1. Plume belle et cruelle, amoureuse et (déjà) désenchantée ; mais c'est de la Littérature, bien sûr...

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